lundi 8 mai 2023

Demaison : Un jour n'est pas l'autre

Prologue


-          Oh, non, le frigo est pratiquement vide… !

Julie soupire, s’assied à la table de la cuisine, attrape un morceau de papier et un Bic et entreprend de dresser la liste des denrées qui font défaut.

Vite fait, bien fait, elle enfile une veste et file en voiture jusqu’au supermarché.  Il ne faut pas qu’elle traîne, ce n’est pas le boulot qui manque.  Dès son entrée dans la grande surface en poussant son chariot, elle est happée par le brouhaha qui y règne, frappée une fois de plus par la surabondance des articles exposés.  Elle est bien décidée, quant à elle, à s’en tenir à sa liste.  La liste…  Où est-elle, la liste ?  Mais oui, bien sûr, elle est restée sur le coin de la table !  Tant pis, elle va faire …sans !  Ce sont les étals de légumes qui s’offrent aux consommateurs en premier lieu.  Sans hésiter, elle empoigne une botte de carottes, toujours utiles à avoir en réserve.  Puis une courgette, facile à poêler en rondelles pour agrémenter en vitesse un poisson ou des chipolatas…  Et puis aussi, une grappe de tomates, des petits oignons et deux poireaux.  Les essentiels , quoi !  Car si Julie s’alimente de manière simple, elle cuisine fort bien, tout est dans les épices : curry, cumin, et curcuma n’ont plus de secrets pour elle.  Elle se dirige ensuite vers le rayon poissonnerie pour y attraper deux dos de cabillaud.  Et plus loin elle plonge vers ces fromages qui vont faire son bonheur : Comté et chèvres de toutes sortes.

Il n’aura pas fallu longtemps pour qu’elle fasse le tour du magasin et qu’elle se rapproche des caisses, piquant çà et là encore des capsules de café et deux ou trois tablettes de son chocolat préféré au caramel beurre salé.  Sans oublier cette perle : sa confiture au gingembre !

Aux caisses à présent, il faut faire la file.  Les chariots se cognent au bord des allées, on entend des « Excusez-moi… S’il vous plaît ?... Pardon ! ».

Rien d’autre à faire que se relâcher.  On prend patience devant son chariot, on feuillette l’un ou l’autre magazine laissé à portée de main, on pianote sur un téléphone, parfois on échange un sourire, un soupir.

Julie ne dédaigne pas ces moments d’abandon forcé, elle en profite pour observer les visages, décrypter les expressions fugaces.  Photographier, c’est son métier !  Capter ce qui fuit, ce qui échappe.  Assumer des reportages de mariage, non, elle n’aime pas trop, mais saisir le fragile, l’indicible… !

La file s’est raccourcie, c’est à présent au tour de Julie d’étaler ses achats sur le tapis roulant, de les empaqueter dans son sac et de sortir sa carte de banque.

Le caissier termine d’imprimer sa note.  Il est sympa, Julie l’aime bien, cet habituel Pépé placide et souriant.  Mais il ne sourit pas, ce matin, il ne blague pas.

Julie se hasarde :

-          Un peu fatigué aujourd’hui ?

L’homme répond d’un hochement de tête. Sans plus.

Surprise, elle insiste malgré tout…

-          Les clients ne sont pas grognons tout de même ?

Nouveau faible hochement de tête.

-          Le boulot, alors ?

Le regard de l’homme se fait plus intense cette fois, s’attarde un peu.  Sans broncher.  Prudence oblige !

Julie n’en saura pas davantage et n’a d’autre ressource que de sourire.

Il ne lui reste qu’à empoigner son chariot, à quitter la caisse avec un bref clin d’œil et à murmurer un doux :

-          Allez, courage, bonne journée !


1.

     Julie a pris l’habitude de faire un saut à l’Espace Photo où son père assume la gestion du matériel de photographie : appareils pour prise de vue, cadres, batteries, piles, etc…

Il est déjà là, le père, dans la petite pièce-arrière destinée à la prise de photos d’identité des clients.

-      Ça va, papa ? Pas besoin d’un coup de main, ce matin ?

Gaston  tourne brièvement la tête vers sa fille , occupé qu’il est à installer un jeune homme venu  se faire tirer le portrait.

-      Non, non, ça va…. Merci !

Par curiosité, et politesse malgré tout, elle s’approche, échange un petit bonjour avec l’homme assis sur un tabouret, fier d’arborer dans ses bras un volumineux accordéon ! Rouge vif, en plus !  Rien de ce que Julie affectionne!

Finaud, son père vient à sa rescousse :

-      Monsieur est musicien…  C’est pour la pub de son prochain spectacle !

-      Oh, très beau !... Bel instrument !

Elle n’en dira pas plus, et s’éclipse avec un rapide :

-      Je vous laisse, je suis déjà en retard !

 

   Il ne s’agit pas d’un mensonge, elle a rendez-vous plus loin dans le quartier pour une séance de photos dans un immeuble de bureaux.

Lorsqu’elle sonne à l’étage, c’est une aimable secrétaire qui lui ouvre la porte et la conduit chez son patron : grand, élégant, souriant, bel homme, qui se précipite à sa rencontre.

-      Attendez, je vais vous aider… Madame ?

-      Demaison, Julie Demaison.

Elle se déleste rapidement de son sac à dos, de sa veste, et s’affaire à dresser son grand flash sur pied, ainsi que… bref, tout ce fourbi qu’elle n’aurait pas dû trimballer avec elle si la séance s’était déroulée dans son studio, mais voilà, les clients préfèrent souvent que cela se passe dans leur familier.

-      Je peux vous offrir un petit café ? propose-t-il aimablement.

-      Non, merci, c’est gentil.  On va y aller ?

Elle a saisi son appareil, signifiant ainsi qu’elle passe aux choses sérieuses.  L’homme ne sourit plus, il s’est redressé pour prendre la pose.  Julie ne bronche pas…  Clic, clic…  Elle s’affaire autour de lui, varie les angles de prise de vue, suggère une attitude, puis une autre, un coin de la pièce différent.  Parfait !  Le type se vend bien.  On sent qu’il a l’habitude de paraître en public !  Un peu trop même.  Mais, bon !

Elle pourrait en rester là, elle estime avoir son quota de clichés.  Pourtant, elle ronge son frein, ce n’est pas ça qu’elle veut, pas du tout ça qu’elle cherche !  Il lui en faut plus !  Il faut de l’inhabituel, du vrai.  Alors elle se risque :

-      Tout compte fait, je prendrais bien quelque chose maintenant.  Un p’tit café ou… un verre d’eau ?

Il s’étonne.

-      Un verre d’eau?  Vous êtes sûre?

-      Oui, si ça ne vous dérange pas…

-      Non, mais…  A cette heure-ci… ?

Il jette un œil à sa montre…

-      Un p’tit cognac, peut-être ?

-      Ah oui, pourquoi pas !

Sitôt dit sitôt fait.  Il a sorti une bouteille, deux verres et le voilà qui trinque à la santé de cette jeune femme solide, décidée.  Il se sourit à lui-même puis, s’assied, s’affale même à la table.  Sans doute a-t-il été pris de court, finie la façade, il rend les armes.  Julie, elle, ne cesse de le mitrailler.  Il esquisse un sourire encore, se met à parler. Il parle comme ça, à lui-même, de tout, de rien, surtout de rien.  Son regard s’évade, le rêve ne serait pas loin…  C’est ça qui la passionne, Julie, saisir les choses au-delà des apparences, capter les voiles fugaces qui passent alors qu’on aimerait tant les retenir, ces nuages qui doivent en avoir fait chavirer plus d’une…

Tout a une fin pourtant.  Julie s’active à replier son matériel.

On prend congé en promettant d’envoyer au plus vite les premières épreuves.  Ainsi que la facture !

Et la porte de l’ascenseur se referme bientôt sur un échange de remerciements réciproques.

Il reste là, songeur, sur le palier.

-      Mine de rien, elle m’a bien eu ! murmure-t-il avec un hochement de la tête.

Et elle, dehors :

-      J’aurais bien aimé l’avoir davantage !

 

 2.


-      Salut, P’pa, ça va ce matin ? lance Julie dès qu’elle franchit le seuil d’Espace Photo.

Le père, au comptoir, se retourne et lui sourit d’un petit air narquois.

-      Oui, je sais, réplique-t-elle, je suis en retard.  Mais j’ai dû me rendre à la Poste pour y rapporter un colis qui ne m’est pas destiné.  Un manteau, figure-toi, que je n’ai pas commandé.  Beaucoup trop grand pour moi, et rouge, en plus !  Tu vois le genre Il y avait une file pas possible, c’est pour ça que…  Bref !  Et toi, ça s’est bien passé hier avec l’accordéoniste ?

-      Oui, j’ai imprimé les photos à dédicacer.  Tiens, regarde…

-      Ah, oui, bien !  Et pour son affiche ?

-      Celle-ci…  Qu’est-ce que tu en dis ?

-      Euh ?…  Ouais…

-      Quoi ?  Quelque chose ne va pas ?

-      Non, mais…  Tu as son téléphone ?

Ni une ni deux : Julie a pris rendez-vous avec l’artiste qui n’a pas refusé de se prêter à une séance supplémentaire.  Et Julie a manœuvré pour que cela se déroule dans son studio, cette fois.

-      Installez-vous, Monsieur… Monsieur Mauve, c’est ça ? avance Julie avec un doute évident dans la voix.

-      Oui, c’est bien ça : Gaspard Mauve.  Bizarre, hein ?  Mais c’est un nom très répandu dans l’Indre, en France.  Appelez-moi Gaspard, c’est plus simple.

-      Très bien, Monsieur Gaspard.  Alors, on y va pour l’affiche !

Elle a déjà monté deux spots sur pied, prête à tester sur la toile de fond un léger flux de couleur.  Un instant d’hésitation…  Irait-elle jusqu’à recourir à un nuage mauve comme elle aime le faire bien souvent ?  Non, ne pas en rajouter !  D’autant que cela risque de ne pas s’accorder avec le rouge de l’accordéon.

-      Voilà, Gaspard, tranche-t-elle, on y va.  Imaginez que vous êtes André Verchuren !

L’homme a calé l’instrument sur ses genoux, glisse ses mains dans les poignées puis, avec fermeté étire et gonfle les soufflets…  Encore, et encore !  Des notes s’envolent, les accords se déploient...  Très bien, Gaspard…  Très bien !

Julie mitraille avec son Canon.

-      Levez la tête maintenant !...  Et enlevez la casquette, si vous voulez bien…  C’est ça, oui !  Regardez-moi!...   Mieux que ça, regardez-moi !

L’homme obéit, il a plissé les yeux et fixe cette femme qui le dévisage, le déshabille presque avec son appareil numérique.

Elle, suspend subitement son rythme car…  Ma parole, il est beau, ce visage !  Bel homme, pardi !  Vite, elle reprend :

-      Très bien, comme ça !...  Non, pas tourner la tête !  Là, c’est mieux !  Un sourire maintenant !

Les paupières de l’homme se plissent davantage encore, ses lèvres se détendent, semblent s’offrir.

-      Oui, encore…

 Cette fois, il incline la tête légèrement, le regard se fait intense et il finit par la fixer d’un air franchement amusé.

Elle, a encore réduit sa focale, vissée à ces lèvres entr’ouvertes, gourmandes qui parlent mieux que les mots.

Quels mots ?  Elle aimerait bien savoir mais…

-           Voilà. Terminé, Mr. Gaspard.  Merci pour votre patience !

 


3.

C’est sans enthousiasme que Julie se dirige à nouveau vers les bureaux de Simon Vauquaire, cet homme d’affaires qu’elle a photographié il y a quelques jours à peine.  Une séance au cours de laquelle il avait fallu qu’elle ruse pour lui faire tomber un certain masque d’autosatisfaction.  Non sans être interpellée elle-même d’ailleurs.

Il y a deux jours, il l’a poliment priée de revenir le voir pour discuter du choix d’un portrait.

L’entrevue va être quelque peu différée, s’excuse la secrétaire, Monsieur a un peu de retard.

Julie se résout à patienter dans la salle d’attente.  Bel endroit, mobilier design, très classe. Mais, curieux tout de même ce petit meuble, là, sur lequel trône un poisson rouge.  Un poisson solitaire qui tourne en rond dans son bocal.  Sans la moindre petite algue qu’il puisse grignoter ou qui rafraichisse l’eau, car le pauvre en est réduit à venir aspirer son oxygène à la surface!  Négligence?  Ou, indifférence pour l’animal ?

Et pourquoi aussi l’a-t-il fait revenir aujourd’hui ?  Elle a fait parvenir en temps voulu tout un éventail de clichés, il n’y avait qu’à choisir.  De quoi veut-il encore discuter ?

La porte vient de s’ouvrir, Julie est invitée à entrer.

Vauquaire s’est levé de son bureau et s’avance, tout sourire, auréolé par le faisceau de lumière qui traverse la pièce de part en part.

-      Madame Demaison, bonjour !...  Merci de vous être déplacée, je suis content de vous revoir !

Il a manifestement retrouvé son costume de directeur, cette assurance qui lui fait bomber le torse mais qu’elle avait réussi à ébranler un moment.

-      Entrez, prenez place…  Je voulais vous consulter, voyez-vous, pour le choix de la photo.

Ils s’installent devant les portraits :

-      J’aime assez celle-ci, entame-t-il…  Il y a celle-là, aussi…  A moins que… ?  L’attitude, ici, me paraît plus expressive, plus imposante…  Qu’en pensez-vous ?

Julie pense que ces interrogations - qu’elle trouve d’habitude tout à fait légitimes de la part de ses clients – ressemblent ici à un véritable numéro d’autosatisfaction.  Une idée lui traverse l’esprit, elle ouvre son sac à main et en retire une enveloppe.

-      Et, que dites-vous de celles-ci ?

Elle vient d’étaler sur la table les quelques clichés supplémentaires qu’elle avait pris de lui lorsqu’elle l’avait poussé dans ses derniers retranchements, alors qu’il s’était rabattu sur un salutaire verre de cognac !

Surpris, Vauquaire se penche, survole les photos du regard.  Il ne pipe mot mais en saisit une… en détaille une deuxième, s’attarde enfin à une image de lui, une expression inhabituelle…  Un regard qui file, qui s’égare…

Il se redresse, tourne la tête, dévisage son invitée, se fend d’un sourire amusé.  Le sourire s’élargit, devient franchement narquois…

-      Vous êtes décidément incorrigible, Madame Demaison !

L’œil pétillant tout à coup, il plonge la main dans la poche intérieure de son veston :

-      Tenez, je vous invite!

Julie examine le carton qu’il vient de lui tendre:

                                                         INVITATION

                                  Inauguration des nouveaux bureaux            

                                           de la Firme  Vauquaire                                                                                            

                                                     Hôtel Métropole

                                                Le samedi 6 avril  2023 à 18h

 

-           Et je compte sur votre présence, n’est-ce pas !

 


4.

Le jour se lève…

Julie ouvre un œil, puis l’autre, tourne la tête vers la fenêtre, là d’où elle a l’habitude de suivre du regard la vie qui s’éveille, les pigeons qui se chamaillent dans les arbres, les mésanges à la recherche d’insectes dans la mousse du lilas.  Ou encore, par chance, l’écureuil roux qui sautille sur le fil de la clôture…

Il va faire beau aujourd’hui, le ciel est bleu, c’est dimanche et elle a tout le temps !  Aussi, elle se retourne, en boule, bien décidée à profiter un moment encore de la douceur de la couette.

Pas longtemps pourtant, après petit coup d’œil au réveil matin :

-      Ah oui, tout de même… !

Etre assise chaque matin devant un bol de café est toujours pour elle un moment précieux, même s’il est bref et précède souvent un départ en trombe.  Elle privilégie cette parenthèse pour décortiquer son calendrier toujours bien en vue sur la table de la cuisine.  Cela la fait rêver.  Elle vérifie les cases encombrées, gamberge devant celles qui sont encore vierges…  Aujourd’hui par exemple…  Ah oui, réception au Métropole !  A 18h …  Elle a encore le temps!

Le temps par exemple d’aller flâner du côté des étangs de Groenendael, les mares sont si belles, si paisibles…  Le temps semble s’y être arrêté.  On y voit des oies bernaches somnoler au soleil sur les berges, les cygnes glissent avec majesté sur une eau  aux reflets azurés.  Et que dire de ces verdures flottantes colonisées par une faune mystérieuse d’insectes et de batraciens ?  Julie s’est déjà souvent demandé pourquoi elle n’est pas devenue photographe animalière ?  Mais non, la patience n’est pas sa vertu première !

Les heures ont filé.  Coup d’œil à la montre, il faut regagner le petit appart’.  Douche rapide, cheveux habilement domestiqués, un brin de maquillage et…  Quoi mettre ?  Quelque chose de festif certainement mais sans grand apprêt.  Un petit ensemble bleu fera l’affaire. Bleu roi.

Lorsqu’elle franchit le seuil du Métropole et qu’elle atteint la suite réservée à la réception Vauquaire, la fête bat son plein.  L’assistance a applaudi le patron qui vient de terminer son speech, le champagne circule.  Tout en louvoyant entre les groupes d’invités, Julie parcourt du regard les photos et les brochures publicitaires mises en évidence sur les buffets et les murs.  Elle a saisi une petite coupe au passage  et se faufile vers l’hôte de la soirée, cerné de tous côtés par ses invités.  Etonnement réel ou feint quand il repère Julie...  Vauquaire lève son verre et lui sourit.

La soirée se poursuit entre échanges entre confrères photographes et retrouvailles avec d’anciens clients, jusqu’au moment où Julie décide de quitter les lieux en douce pour aller admirer dehors les anciennes façades de la Place de Brouckère.  Nez en l’air au bord du trottoir, elle sursaute lorsqu’une superbe voiture blanche s’arrête à ses pieds.  Un chauffeur speedé s’en extirpe et se précipite vers le client qu’il a repéré.  Julie s’efface, prête à s’excuser lorsqu’une voix l’interpelle :

-      Julie ?  Julie Demaison ?

-      Euh…  Oui.

C’est Vauquaire.

-      Ah, vous êtes encore là ?  Heureux de vous croiser enfin, j’ai été fort pris évidemment.  Vous attendez votre voiture, vous aussi ?

Elle hésite.

-      Pas vraiment, non.  Je prends les transports en commun.

Elle se demandera plus tard pourquoi elle a lâché ça.

-      Les transports en commun ?  Vous êtes sûre ?  Non, attendez, je vais vous ramener !

Elle hésite.  Alors il insiste, lui saisit le bras.

-      Non, laissez-moi vous reconduire !

Pourquoi ce geste spontané la trouble-t-il à ce point?  Pourquoi vient-elle de refuser cette invitation ?

-      C’est très aimable à vous mais… non, je vais rentrer par mes propres moyens.

-      Certaine ?  Je ne voudrais pas paraître importun...

La pression sur le bras se précise encore.  Tout comme ce regard ce qui interroge, un regard dont elle n’avait jamais perçu jusque-là qu’il pouvait être aussi intense…  Un de ces regards qui laisse filer une vérité intérieure impossible à retenir.

-      Comme vous voulez, se résigne-t-il.  Une prochaine fois, peut-être ?

-      Certainement. Promis !

Cela non plus elle n’a pu le retenir.


5.

La semaine a été chargée, Julie sent la fatigue lui enserrer les épaules.  Il faudrait qu’elle puisse se détendre, c’est évident.

-      Viens avec moi, lui a soufflé, une copine, viens faire de l’aquagym!

Bonne idée, oui !  Mais la piscine en question est située à Neerpede !  Au diable vauvert !  Et il s’agit de Thermes !  Se balader à poil dès qu’on a cessé de pédaler l’eau, c’est pas vraiment son truc !

Quoi d’autre?  La piscine communale ?  On y est submergé par les écoles !  Sinon ?...  Ah oui, il y a bien ici tout près, à l’orée du bois, le David Lloyd dont on vante le cadre et le confort.  Mais, purée !  Qu’est-ce que c’est cher !  Quels prix !  Quoique, des prospectus dans la boîte aux lettres, font souvent état de promotions intéressantes.  A condition, bien sûr, de s’abonner ensuite pour le reste de l’année!  Que faire ?...  Oh, et puis zut !  Au diable les restrictions, au diable l’avarice !

Elle ne regrette pas son choix.  Après le passage obligé par la douche, Julie débarque dans un large univers blanc fait de carrelages et de vitres qui reflètent la lumière.  Même si elle semble bleue, l’eau est limpide, et accueille les nageurs à une  température des plus douce. Elle s’y glisse avec langueur, entame quelques brasses, s’étire à la nage indienne comme elle aime tant, puis se laisse finalement flotter sur le dos, le regard perdu vers la verrière au-dessus d’elle, transparente, lumineuse…

Mais le temps a filé, il faudrait sortir de l’eau tout de même.  Elle a saisi sa serviette éponge et se dirige à nouveau vers les douches…  A petits pas, bien sûr, et avec prudence car le sol est humide et …  0h !...  Ah ?...  Zut, son équilibre ! Mais à peine a-t-elle vacillé qu’une main vigoureuse l’a saisie par le bras…  Une poigne solide qui la maintient debout.

-      Ça va, Madame ?

-      Oui, ça va…

Elle souffle, reprend ses esprits, lève la tête vers…

-      Non !  Lui ? Vauquaire ?  Il est là, contre elle, en slip de bain, torse encore ruisselant.

-      Tout va bien, Mad… ?  Quoi, Julie?  Julie Demaison ?

-      Oui, c’est moi, souffle-t-elle.

Il rit.  Elle ne peut que s’esclaffer, confuse :

-      Oh, merci !  Merci, car j’ai bien failli m’étaler !

-      Et ça va maintenant ?...  Ça va aller pour rejoindre votre cabine ?

-      Oui, oui, merci.

Il rit :

-      Attention, hein, je vous surveille de loin !...  Au fait, on pourrait peut-être se retrouver dehors ?…  Pour boire un verre au bar ?

-      Pourquoi pas ?... A tout de suite !

Ils se retrouvent donc au bar, quelques minutes plus tard, attablés sous la tonnelle.

-      Que voulez-vous boire, Julie ?  Je peux vous appeler Julie ?  D’ailleurs, puisque je vous ai si bien sauvée, on pourrait se tutoyer aussi ?

-      Ben, oui…  Et offre-moi donc ce verre, Simon !

L’entretien se poursuit avec politesse entre évocation des retombées médiatiques de la fête au Métropole et le business quotidien de Julie.

Mais le temps passe vite, trop vite une fois de plus.  Vauquaire a jeté un coup d’œil à sa montre.

-      Je ne peux pas m’attarder davantage malheureusement.

Julie acquiesce et vide son verre.

Lui, se fait narquois :

-      Ca va aller pour rentrer ?  Tu es à nouveau venue en tram ou… je te reconduis cette fois ? 

-      Non, non, ça ira, lâche-t-elle en lui renvoyant un sourire amusé.  Ma voiture est là d’ailleurs.

Petit clic sur la clef du véhicule, elle a saisi la poignée de la portière et se retourne vers lui pour prendre congé mais, même s’il sourit, il ne semble pas prêt à serrer la main qu’elle lui tend.

Il est là, la dévisage.  Intensément.  Que veut-il dire ?  Il n’y a sans doute pas de mots pour ça…  Elle le voit pourtant s’approcher avec prudence, et sent des lèvres timides se poser avec une infinie délicatesse sur les siennes.  Des lèvres bien décidées qui s’entêtent pourtant, qui la troublent et provoquent en elle soudain… le chaos !

 

6.

Après une journée une fois de plus bien remplie, Julie regagne son lit, envahie par un sentiment de sérénité et de bonheur.  Dehors le soleil lui aussi se couche, étirant derrière les toits des maisons et les arbres de longues traînées orange. Un doux flamboiement !  Comme celui qu’elle a éprouvé à la piscine le matin lorsque Simon a délicatement posé ses lèvres sur les siennes.  Un baiser pudique qui avait provoqué chez elle un violent délice.

Lorsqu’elle avait enfin levé les yeux vers lui :

-           Simon… ?...  Je voudrais…  J’espère…

Il avait fait mine de poser un doigt sur sa bouche et lui avait soufflé à l’oreille :

-           Ne crains rien, Julie !…  Cool !...  Mais il faut que je parte maintenant, je suis pressé, j’ai un rendez-vous.  Je t’appelle tout à l’heure, promis !

Il l’avait rappelée en effet, et conviée pour le lendemain soir à un petit tête-à-tête au resto.  Elle s’était doucement laissée aller dans ses rêves, avec cette intuition qu’il venait de lever un voile sur cette douceur qu’il s’efforçait si bien de dissimuler.

 

Le lendemain elle s’est levée de bonne heure, et de bonne humeur.

Le p’tit déj’ reste toujours un moment privilégié avant d’entamer la journée.  Assise devant son bol de café, elle se penche sur son agenda étalé sur la table de la cuisine. Point par point elle relève :

- Magasin : vérifier stock de piles électrique

- 11h cours collectif photo à la Commune

- Coup de fil à Gaspard accordéoniste

- Courrier Mutuelle

- 17h de Bellefroid photos

De quoi bien remplir les heures à venir, en somme !  Heureusement, il y a la perspective de retrouver Simon, le soir à la Gourmandine.

Quant à ce vague carton d’invitation qu’elle voit dépasser de la boîte aux lettres :  « Van Gogh - Spectacle en immersion dans les locaux de la Bourse »… elle le froisse carrément.   Non merci ! Trop de jaune, trop d’orange, trop de coups de pinceaux gondolants…  Poubelle ! 

Une demie heure plus tard, alors qu’elle s’apprête à mettre le contact à sa voiture son GSM sonne.

-           Allo ? Madame Demaison ?  Charlotte de Bellefroid à l’appareil, vous allez bien ?  Je vous appelle pour vous prévenir que j’aurai un peu de retard tout à l’heure…  Toutes mes excuses…  Mais j’ai un contretemps sérieux…  Vous comprenez, n’est-ce pas ?

Comprendre ?  Julie comprend surtout que la gente dame est culottée !  Son sang n’a fait qu’un tour, la colère lui serre l’estomac et c’est avec rage qu’elle démarre.

 

La Charlotte de Bellefroid a, bien évidemment, pris son temps avant de regagner son domicile.  Mais la voici enfin installée dans le canapé du salon pour prendre la pose… comme-ci… comme-ça… pendant que Julie la mitraille sous tous les angles.

-           On pourrait aussi prendre une photo avec mon chat ?  Qu’en pensez-vous ? Méphisto ?  Viens mon chat, viens chez Maman…

Mais le Chartreux n’apprécie guère d’être interrompu dans sa sieste.  Il se fend d’un miaulement furieux, d’un coup de griffe et s’enfuit.

Autre tentative avec le chien : le Border Collie, lui, accourt et saute dans tous les sens, trop heureux à l’idée d’une promenade inattendue.

Au bord d’une sourde apoplexie, Julie finit par suggérer d’en rester là.

 

La séance l’a épuisée.  Coup d’œil à la montre.  Il lui reste un court moment pour regagner la maison, faire un brin de toilette et rejoindre enfin Simon.

Vite la voiture !  Elle démarre et fonce…  Par le Bois de la Cambre, peut-être ?  Oui, ça ira plus vite !  Mais elle a perdu de vue que la circulation y a été modifiée.  Ah bon ?  La route est barrée maintenant ?  Coup de volant, crissement des freins pour éviter les blocs de bétons qui barrent le passage et…  Non, trop tard !  Une voiture vient de l’emboutir à l’arrière. Spectaculaire constat de tôles froissées de part et d’autre… !

-Allo, Simon ? Désolée !...  Je viens de faire une bosse en voiture… Une grosse bosse !

Décidément, non, un jour n’est pas l’autre.


7.

Vert   Luxure  Petit pendentif

 

Difficile pour Julie de se défaire du malaise qu’a provoqué le coup de fil de Cécile, sa copine, venue aux nouvelles le matin pour l’inviter à une petite virée cinoche.

-           Non, pas possible, avait-elle décliné, je dîne avec Simon ce soir.

-           Simon ?  Simon Vauquaire ?  Dis donc, tu  ne te mouches pas du pied!  Tu sais que c’est un coureur de jupons ?

-           Euh, non…  Pas vraiment.

Cécile, bien entendu, s’était fait un plaisir de se répandre en commentaires éloquents : Cavaleur !…  Ne crache pas sur les partouzes…  Aime la luxure…  Je dis ça, je dis rien, hein , mais fais gaffe quand même… !

L’échange en était resté là mais il n’en a pas moins laissé quelque trace dans l’esprit de Julie.

 Coup de fil de son père, plus tard, qui lui signale qu’une surprise l’attend sur le comptoir du magasin.  Il paraît que Gaspard, l’accordéoniste qu’elle a soutenu dans sa campagne publicitaire pour un concert, lui a réservé un cadeau en guise de remerciement.  Curieuse, elle s’empresse d’aller ouvrir le colis et découvre… rien moins qu’un collier !  Oui, enfin…  Une fine chaînette à laquelle pendouille la découpe métallique d’un frêle papillon !  Mignon en soi, si on veut, pense Julie, mais pas vraiment ce qu’elle aime !  Le geste est gentil, mais… purée !  Encore un qu’il va falloir remercier, chouchouter, flatter…

Ce sera pour plus tard, ce soir elle va à la rencontre de Simon.

 

Lorsqu’elle arrive à la villa, Simon l’attend sur le seuil, en manches de chemise et tout sourire.

-           Venez, venez, chère dame, ironise-t-il…  Heureux de vous revoir… enfin !

Puis, plus familièrement, avec une bise sur la joue :

-           Viens, Julie,  entre…  Donne-moi ton châle et installe-toi au salon.

Puis, de loin en élevant la voix du fond de la cuisine :

-           Un verre de bulles, ça te va ?

Lorsqu’il réapparaît avec une bouteille et deux verres, son regard croise celui de Julie puis tombe sur un livre abandonné sur la table basse.

-           Ah, oui, excuses ! confesse-t-il avec un sourire faussement contrit et en retournant l’ouvrage sur la page de garde pour en masquer le titre coquin : « Chefs d’œuvre de l’érotisme ».

-           Oh, dans le genre tu sais, il y a pire… !

Elle saisit la balle au bond :

-           « Les carnets » d’Anaïs Nin, par exemple…

-           Nooon !  Plus érotique : Dante et sa « Divine Comédie »! L’enfer et la luxure, très chère !  Allons, viens, tranche-t-il, allons profiter de la verdure et d’un climat plus sain.

Le jardin en effet invite à la sérénité.  Même si les pelouses ont été tracées et tondues au cordeau, de beaux espaces verts cultivés « à l’anglaise «  font la part belle aux fleurs et à des buissons épanouis.  Et les plantes aromatiques lorsqu’on les froisse au passage vous parlent volontiers d’un ailleurs parfumé…

Le vin fait peu à peu son office, les huîtres et les crustacés aussi.  Simon et son invitée se laissent gagner par le plaisir de partager une familiarité toute neuve.  Lui, observe, l’écoute surtout, c’est elle qui se raconte.

Le temps file, le soir tombe, elle frissonne.

-           Tu vas prendre froid! Viens, rentrons.

Mais à peine ont-ils franchi la baie vitrée qu’il la retient par le bras et lui fait face.  Est-elle surprise ?  A peine.  Pas étonnée non plus de retrouver dans son regard cette douceur sans défense qu’elle avait fini par capter lors de leur séance photo.  Pas davantage effarouchée non plus par ces lèvres prudentes qu’elle voit s’approcher des siennes.  C’est un Simon gourmand qui s’impose peu à peu, qui l’attire contre lui, un homme dont elle se hasarde à respirer l’odeur dans l’échancrure de sa chemise, un homme qui la trouble au hasard de ses mains aventureuses.  Cet homme vient d’allumer au plus secret d’elle-même une étincelle de désir, une petite flamme têtue, qui déjà prend vigueur, qui s’insinue au cœur de ses entrailles, qui monte, qui part en vrille et qui s’écrase enfin en un râle irrésistible, sauvage…

 

-oOo-


 

samedi 15 avril 2023

 

Demaison 7

 

Vert   Luxure  Petit pendentif

 

Difficile pour Julie de se défaire du malaise qu’a provoqué le coup de fil de Cécile, sa copine, venue aux nouvelles le matin pour l’inviter à une petite virée cinoche.

-Non, pas possible, avait-elle décliné, je dîne avec Simon ce soir.

-Simon ? Simon Vauquaire ? Dis donc, tu  ne te mouches pas du pied! Tu sais que c’est un coureur de jupons ?

-Euh, non… Pas vraiment.

Cécile, bien entendu, s’était fait un plaisir de se répandre en commentaires éloquents : Cavaleur !… Ne crache pas sur les partouzes… Aime la luxure… Je dis ça, je dis rien, hein , mais fais gaffe quand même… !

L’échange en était resté là mais il n’en a pas moins laissé quelque trace dans l’esprit de Julie.

 

Coup de fil de son père, plus tard, qui lui signale qu’une surprise l’attend sur le comptoir du magasin. Il paraît que Gaspard, l’accordéoniste qu’elle a soutenu dans sa campagne publicitaire pour un concert, lui a réservé un cadeau en guise de remerciement. Curieuse, elle s’empresse d’aller ouvrir le colis et découvre… rien moins qu’un collier ! Oui, enfin… Une fine chaînette à laquelle pendouille la découpe métallique d’un frêle papillon ! Mignon en soi, si on veut pense Julie, mais pas vraiment ce qu’elle aime ! Le geste est gentil, mais… purée ! Encore un qu’il va falloir remercier, chouchouter, flatter…

Ce sera pour plus tard, ce soir elle va à la rencontre de Simon.

 

Lorsqu’elle arrive à la villa, Simon l’attend sur le seuil, en bras de chemise et tout sourire.

-Venez, venez, chère dame, ironise-t-il…Heureux de vous revoir… enfin !

Puis, plus familièrement, avec une bise sur la joue :

-Viens, Julie,  entre… Donne-moi ton châle et installe-toi au salon.

Puis, de loin en élevant la voix du fond de la cuisine :

-Un verre de bulles, ça te va ?

Lorsqu’il réapparaît avec une bouteille et deux verres, son regard croise celui de Julie puis tombe sur un livre abandonné sur la table basse.

-Ah, oui, excuses ! confesse-t-il avec un sourire faussement contrit et en retournant l’ouvrage sur la page de garde pour en masquer le titre coquin : « Chefs d’œuvre de l’érotisme ».

-Oh, dans le genre tu sais, il y a pire… !

Elle saisit la balle au bond :

 -« Les carnets » d’Anaïs Nin, par exemple…

-Nooon ! Plus érosif : Dante et sa « Divine Comédie ». L’enfer et la luxure, très chère ! Allons, viens, tranche-t-il, allons profiter de la verdure et d’un climat plus sain.

Le jardin en effet invite à la sérénité. Même si les pelouses ont été tracées et tondues au cordeau, de beaux espaces  verts cultivés « à l’anglaise «  font la part belle aux fleurs et à des buissons épanouis. Et les  plantes aromatiques lorsqu’on les froisse au passage vous parlent volontiers d’un ailleurs parfumé…

Le vin fait peu à peu son office, les huîtres et  les crustacés aussi. Simon et son invitée se laissent gagner par le plaisir de partager une familiarité toute neuve.  Lui, il l’observe, l’écoute surtout, c’est elle qui se raconte.

Le temps file, le soir tombe, elle frissonne.

-Tu vas prendre froid! Viens, rentrons.

Mais à peine ont-ils franchi la baie vitrée qu’il la retient par le bras et lui fait face. Est-elle surprise ? A peine. Pas étonnée non plus de retrouver dans son regard cette douceur sans défense qu’elle avait fini par capter lors de leur séance photo. Pas  davantage effarouchée non plus par ces lèvres prudentes qu’elle voit s’approcher des siennes. C’est un Simon gourmand qui s’impose à présent, qui l’attire contre lui, un homme dont elle se hasarde à respirer l’odeur dans l’échancrure de sa chemise, un homme qui la trouble au hasard de ses mains aventureuses. Cet homme vient d’allumer au plus secret d’elle-même une étincelle de désir, une petite flamme têtue, qui déjà prend vigueur, qui s’insinue au cœur de ses entrailles, qui monte, qui part en vrille et qui s’écrase enfin en un râle irrésistible, sauvage…

 

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dimanche 26 mars 2023

 

Demaison 6

 

Orange  Colère  Portrait de Van Gogh

 

Un jour n’est pas l’autre…

     Après une journée une fois de plus bien remplie, Julie regagne son lit,  envahie par un sentiment de sérénité et de bonheur. Dehors le soleil lui aussi se couche, étirant derrière les toits des maisons et les arbres de longues traînées oranges... Un doux flamboiement ! Comme celui qu’elle a éprouvé à la piscine le matin lorsque Simon a délicatement posé ses lèvres sur les siennes. Un baiser pudique qui avait provoqué chez elle un violent délice.

Lorsqu’elle avait enfin levé les yeux vers lui :

-Simon… ?... Je voudrais… J’espère…

Il avait fait mine de poser un doigt sur sa bouche et lui avait soufflé à l’oreille :

-Ne crains rien, Julie !… Cool !... Mais il faut que je parte maintenant, je suis pressé, j’ai un rendez-vous. Je t’appelle tout à l’heure, promis !

Il l’avait rappelée en effet, et conviée pour  le lendemain soir à un petit tête-à- tête au resto. Elle s’était doucement laissée aller dans ses rêves,  avec cette intuition qu’il venait de lever un voile sur cette douceur qu’il s’efforçait si bien de dissimuler.

 

Le lendemain elle s’est levée de bonne heure, et de bonne humeur.

Le p’tit déj’ reste toujours un moment privilégié avant d’entamer la journée. Assise devant son bol de café, elle se penche son agenda étalé sur la table de la cuisine. Point par point elle relève :

-        Magasin : vérifier stock de piles électrique

-        11h cours collectif photo à la Commune

-        Coup de fil à Gaspard accordéoniste

-        Courrier Mutuelle

-        -17h de Bellefroid photos

De quoi bien remplir les heures à venir, en somme ! Heureusement, il y a la  perspective de retrouver Simon, le soir à la Gourmandine.

Quant à ce vague carton d’invitation qu’elle voit dépasser de la boîte aux lettres :  « Van Gogh - Spectacle en immersion dans les locaux de la Bourse »… elle le froisse carrément. Non merci ! Trop de jaune, trop d’orange, trop de coups de pinceaux gondolants… Poubelle !

Une demie heure plus tard, alors qu’elle s’apprête à mettre le contact à sa voiture son GSM sonne.

-Allo ? Madame Demaison ? Charlotte de Bellefroid à l’appareil, vous allez bien ? Je vous appelle pour vous prévenir que j’aurai un peu de retard tout à l’heure… Toutes mes excuses… Mais j’ai un contretemps sérieux… Vous comprenez, n’est-ce pas ?

Comprendre ? Julie comprend surtout que la gente dame est culottée ! Son sang n’a fait qu’un tour, la colère lui serre l’estomac et c’est avec rage qu’elle  démarre.

 

La Charlotte de Bellefroid a, bien évidemment, pris son temps avant de regagner son domicile. Mais la voici enfin installée dans le canapé du salon pour prendre la pose… comme -ci… comme-ça… pendant que Julie la mitraille sous tous les angles.

-On pourrait aussi prendre une photo avec mon chat ? Qu’en pensez-vous ? Méphisto ? Viens mon chat, viens chez Maman…

Mais le Chartreux n’apprécie guère être interrompu dans sa sieste. Il se fend d’un miaulement furieux, d’un coup de griffe et s’enfuit.

Autre tentative avec le chien : le Border Collie, lui, accourt et saute dans tous les sens, trop heureux à l’idée d’une promenade inattendue.

Au bord d’une sourde apoplexie, Julie finit par suggérer d’en rester là.

 

La séance l’a épuisée. Coup d’œil à la montre. Il lui reste un court moment pour regagner la maison, faire un brin de toilette et rejoindre enfin Simon.

Vite la voiture ! Elle démarre et fonce… Par le Bois de la Cambre, peut-être ? Oui, ça ira plus vite ! Mais elle a perdu de vue que la circulation y a été modifiée. Ah bon ?  La route est barrée maintenant ? Coup de volant, crissement des freins pour éviter les blocs de bétons qui barrent le passage et… Non, trop tard ! Une voiture vient de l’emboutir à l’arrière. Spectaculaire constat de tôles froissées de part et d’autre… !

-Allo, Simon ? Désolée !... Je viens de faire une bosse en voiture… Une grosse bosse !

Décidément, non, un jour n’est pas l’autre.

 

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Demaison : Un jour n'est pas l'autre

Prologue -          Oh, non, le frigo est pratiquement vide… ! Julie soupire, s’assied à la table de la cuisine, attrape un morceau de papie...