Julie Demaison
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Julie a pris l’habitude de faire un saut à
l’Espace Photo où son père assume la
gestion du matériel de photographie : appareils pour prise de vue, cadres,
batteries, piles, etc…
Il est déjà
là, le père, dans la petite pièce-arrière destinée à la prise de photos
d’identité des clients.
-Ça va, papa ?
Pas besoin d’un coup de main, ce matin ?
Gaston tourne brièvement la tête vers sa fille , préoccupé
qu’il est à installer un jeune homme en demande de se faire tirer le portrait.
-Non, non,
ça va…. Merci !
Par
curiosité, et politesse malgré tout, elle s’approche, échange un petit bonjour
avec l’homme assis sur un tabouret, fier d’arborer dans ses bras un volumineux accordéon !
Rouge vif, en plus ! Rien de ce que Julie affectionne!
Finaud, son
père vient à sa rescousse :
-Monsieur
est musicien… C’est pour la pub de son prochain spectacle !
-Oh, très
beau !... Bel instrument !
Elle n’en
dira pas plus, et s’éclipse avec un rapide :
-Je vous
laisse, je suis déjà en retard !
Il ne s’agit pas d’un mensonge, elle a
rendez-vous plus loin dans le quartier pour une séance de photos dans un
immeuble de bureaux.
Lorsqu’elle
sonne à l’étage, c’est une aimable secrétaire qui lui ouvre la porte et la
dirige vers son patron : grand, élégant, souriant… Bel homme, qui se
précipite à sa rencontre.
-Attendez,
je vais vous aider… Madame ?
-Demaison,
Julie Demaison.
Elle se
déleste rapidement de son sac à dos, de sa veste, et s’affaire à dresser son grand flash sur pied, ainsi
que… bref, tout ce fourbi qu’elle n’aurait pas dû trimballer avec elle si la
séance s’était déroulée dans son studio, mais voilà, les clients préfèrent
souvent que cela se passe dans leur antre familier.
-Je peux
vous offrir un petit café ? propose-t-il aimablement.
-Non, merci,
c’est gentil. On va y aller ?
Elle a saisi
son appareil, signifiant ainsi qu’elle passe aux choses sérieuses. L’homme ne sourit plus, il s’est redressé pour
prendre la pose. Julie ne bronche pas… Clic,
clic… Elle s’affaire autour de lui, varie les angles de prise de vue, suggère
une attitude, puis une autre, un coin de la pièce différent. Parfait ! Le
type se vend bien. On sent qu’il a l’habitude de paraître en public ! Un
peu trop même. Mais, bon !
Elle
pourrait en rester là, elle estime avoir
son quota de clichés. Pourtant, elle ronge son frein, ce n’est pas ça qu’elle
veut, pas du tout ça qu’elle cherche ! Il lui en faut plus ! Il faut de
l’inhabituel, du vrai. Alors elle se risque :
-Tout compte
fait, se hasarde-t-elle, je prendrais bien quelque chose maintenant. Un p’tit café ou… un verre d’eau ?
Il s’étonne.
-Un verre
d’eau? Vous croyez ?
-Oui, si ça
ne vous dérange pas…
-Non, mais… A
cette heure-ci… ?
Il jette un
œil à sa montre…
-Un p’tit cognac, peut-être ?
-Ah oui,
pourquoi pas !
Sitôt dit
sitôt fait. Il a sorti une bouteille, deux verres et le voilà qui trinque à la
santé de cette jeune femme devant lui, solide, décidée. IL se sourit à lui-même
puis, tout compte fait, s’assied, s’affale même à la table. Sans doute a-t-il
été pris de court, finie la façade , il rend les armes. Julie, elle, ne
cesse de le mitrailler. Il esquisse un sourire encore, se met à parler. Il
parle comme ça, à lui-même, de tout, de
rien, surtout de rien. Son regard s’évade, le rêve ne serait pas loin… C’est ça qui la passionne, Julie, saisir les choses au-delà des apparences,
capter les voiles fugaces qui passent alors qu’on aimerait tant les retenir,
ces nuages qui doivent en avoir fait chavirer plus d’une…
Tout a une
fin pourtant. Julie s’active à replier son matériel.
On prend
congé en promettant d’envoyer au plus vite les premières épreuves. Ainsi que la facture !
Et la porte
de l’ascenseur se referme bientôt sur un échange de remerciements réciproques.
Il reste là,
songeur, sur le palier.
-Mine de rien,
elle m’a bien eu! murmure-t-il avec un hochement de la tête.
Et elle,
dehors : J’aurais bien aimé l’avoir davantage !