Demaison
4
Paresse Bleu Voiture
Le jour se
lève…
Julie ouvre
un œil, puis l’autre, tourne la tête vers la fenêtre, là d’où elle a l’habitude
de suivre du regard la vie qui s’éveille, les pigeons qui se chamaillent dans
les arbres, les mésanges à la recherche d’insectes dans la mousse du lilas. Ou
encore, par chance, l’écureuil roux qui sautille sur le fil de la clôture…
Il va faire
beau aujourd’hui, le ciel est bleu, c’est dimanche et elle a tout le temps !
Aussi, elle se retourne, en boule, bien décidée à profiter un moment encore de
la douceur de la couette.
Pas
longtemps pourtant, après petit coup d’œil au réveil matin :
-Ah oui,
tout de même… !
Etre assise
chaque matin devant un bol de café est toujours pour elle un moment précieux,
même s’il est bref et précède souvent un départ en trombe. Elle privilégie
cette parenthèse pour décortiquer son calendrier toujours bien en vue sur la
table de la cuisine. Ca la fait rêver.
Elle vérifie les cases encombrées, gamberge devant celles qui sont encore
vierges… Aujourd’hui par exemple… Ah oui, réception au Métropole ! A
18h … Elle a le temps encore !
Le temps par
exemple d’aller flâner du côté des étangs de Groenendael, les mares sont si
belles, si paisibles… Le temps semble s’y être arrêté. On y voit des oies
bernaches somnoler au soleil sur les berges, les cygnes glissent avec majesté
sur une eau aux reflets azurés. Et que
dire de ces verdures flottantes colonisées par une faune mystérieuse d’insectes
et de batraciens ? Julie s’est déjà souvent demandé pourquoi elle n’est
pas devenue photographe animalière ? Mais non, la patience n’est pas sa
vertu première !
Les heures
ont filé. Coup d’œil à la montre, il faut regagner le petit appart’. Douche
rapide, cheveux habilement domestiqués, un brin de maquillage et… Quoi mettre ? Quelque chose de festif
certainement mais sans grand apprêt. Un petit ensemble bleu fera l’affaire.
Bleu roi.
Lorsqu’elle
franchit le seuil du Métropole et qu’elle atteint la suite réservée à la
réception Vauquaire, la fête bat son plein. L’assistance a applaudi le patron
qui vient de terminer son speech, le champagne circule. Tout en louvoyant entre
les groupes d’invités, Julie parcourt du regard les photos et les brochures
publicitaires mises en évidence sur les buffets et les murs. Elle a saisi une
petite coupe au passage et se fafile vers l’hôte de la soirée, cerné
de tous côtés par ses invités. Etonnement réel ou feint quand il repère Julie
? Vauquaire lève son verre et lui sourit.
La soirée se
poursuit entre échanges entre confrères photographes et retrouvailles avec
d’anciens clients, jusqu’au moment où Julie décide de quitter les lieux en
douce pour aller admirer dehors les anciennes façades de la Place de Brouckère.
Nez en l’air au bord du trottoir, elle sursaute lorsqu’une superbe voiture
blanche s’arrête à ses pieds. Un chauffeur speedé s’en extirpe et se précipite
vers le client qu’il a repéré. Julie s’efface, prête à s’excuser lorsqu’une
voix l’interpelle :
-Julie ?
Julie Demaison ?
-Euh… Oui.
C’est Vauquaire.
-Ah, vous
êtes encore là ? Heureux de vous croiser enfin, j’ai été fort pris
évidemment. Vous attendez votre voiture, vous aussi ?
Elle hésite.
-Pas
vraiment, non. Je prends les transports en commun.
Elle se
demandera plus tard pourquoi elle a lâché ça.
-Les
transports en commun ? Vous êtes sûre ? Non, attendez, je vais vous
ramener !
Elle hésite.
Alors il insiste, lui saisit le bras.
-Non,
laissez-moi vous reconduire !
Pourquoi ce
geste spontané la trouble-t-il à ce point? Pourquoi vient-elle de réfuter cette
invitation ?
-C’est très
aimable à vous mais… non, je vais rentrer par mes propres moyens.
-Certaine ?
Je ne voudrais pas paraître importun...
La pression
sur le bras se précise encore. Tout comme ce regard ce qui interroge, un regard
dont elle n’avait jamais perçu jusque-là qu’il pouvait être aussi intense… Un
de ces regards qui laisse filer une vérité intérieure impossible à retenir.
-Comme vous
voulez, se résigne-t-il. Une prochaine fois, peut-être ?
-Certainement.
Promis !
Cela non
plus, à son tour, elle n’a pu le retenir.
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