dimanche 22 janvier 2023

 

Demaison 3  

 

Orgueil  Jaune   Poisson rouge

 

   C’est sans enthousiasme que Julie se dirige à nouveau vers les bureaux de Simon Vauquaire, cet homme d’affaires qu’elle a photographié il y a quelques jours à peine. Une séance au cours de laquelle il avait fallu qu’elle ruse pour lui faire tomber un certain masque d’autosatisfaction. Non sans être interpellée elle-même d’ailleurs.

Il y a deux jours, il l’a poliment priée de revenir le voir pour discuter du choix d’un portrait.

-L’entrevue va être quelque peu différée, s’excuse la secrétaire, Monsieur a un peu de retard.

Julie se résout à patienter dans la salle d’attente. Bel endroit, mobilier design, très classe. Mais, curieux tout de même ce petit meuble, là, sur lequel trône un poisson rouge. Un poisson solitaire qui tourne en rond dans son bocal. Sans la moindre petite algue qu’il puisse grignoter ou qui rafraichisse  l’eau, car le pauvre en est réduit à venir aspirer son d’oxygène à la surface! Négligence?  Ou, indifférence pour l’animal ?

Et pourquoi aussi l’a-t-on fait revenir aujourd’hui ? Elle a fait parvenir en temps voulu tout un éventail de clichés, il n’y avait qu’à choisir. De quoi veut-il encore discuter ?

La porte vient de s’ouvrir, Julie est invitée à entrer.

Vauquaire s’est levé de son bureau et s’avance, tout sourire, auréolé par le faisceau de lumière qui traverse la pièce de part en part.

-Madame Demaison, bonjour !... Merci de vous être déplacée, je suis content de vous revoir !

Il a manifestement retrouvé son costume de directeur, cette assurance qui lui fait bomber le torse mais qu’elle avait réussi à ébranler un moment.

-Entrez, prenez place… Je voulais vous consulter, voyez-vous, pour le choix de la photo.

Ils s’installent devant les portraits :

-J’aime assez celle-ci, entame-t-il… Il y a celle-là, aussi… A moins que… ? L’attitude, ici, me paraît plus expressive, plus imposante… Qu’en pensez-vous ?

Julie pense que ces interrogations - qu’elle trouve d’habitude tout à fait  légitimes de la part de ses clients - ressemblent ici à un véritable numéro d’autosatisfaction.

Une idée lui traverse l’esprit, elle ouvre son sac à main et en retire une enveloppe.

-Et, que dites-vous de celles-ci ?

Elle vient d’étaler sur la table les quelques clichés supplémentaires qu’elle avait pris de lui lorsqu’elle l’avait poussé dans ses derniers retranchements, alors qu’il s’était rabattu sur un salutaire verre de cognac !

Surpris, Vauquaire se penche, survole les photos du regard. Il ne pipe mot mais en saisit une… en détaille une deuxième, s’attarde enfin  à une image de lui, une expression inhabituelle…  Un  regard qui file, qui s’égare…

Il se redresse, tourne la tête,  dévisage son invitée, se fend d’un sourire amusé.

Le sourire s’élargit,  devient franchement narquois…

-Vous êtes décidément incorrigible, Madame Demaison !

L’œil pétillant tout à coup, il plonge la main dans la poche intérieure de son veston :

-Tenez, je vous invite!

Julie examine le carton qu’il vient de lui tendre:

                                                         INVITATION

                                  Inauguration des nouveaux bureaux             

                                                 De la Firme Vauquaire                                                                                                

                                                     Hôtel Métropole

                                                Le samedi 6 avril  2023 à 18h

 

-Et je compte sur votre présence, n’est-ce pas !

-oOo-

 

 

dimanche 1 janvier 2023

 Julie Demaison -2

 

-Salut, P’pa, ça va ce matin ? lance Julie dès qu’elle franchit le seuil d’Espace Photo.

Le père, au comptoir, se retourne et lui sourit d’un petit air narquois.

-Oui, je sais, réplique-t-elle, je suis en retard. Mais j’ai dû me rendre à la Poste pour y rapporter un colis qui ne m’est pas destiné. Un manteau, figure-toi, que je n’ai pas commandé. Beaucoup trop grand pour moi, et rouge, en plus ! Tu vois le genre Il y avait une file pas possible, c’est pour ça que… Bref ! Et toi, ça s’est bien passé hier avec l’accordéoniste ?

-Oui, j’ai imprimé les photos à dédicacer. Tiens, regarde…

-Ah, oui, bien ! Et pour son affiche ?

-Celle-ci… Qu’est-ce que tu en dis ?

-Euh ?… Ouais…

-Quoi ? Quelque chose ne va pas ?

-Non, mais… Tu as son téléphone ?

 

Ni une ni deux : Julie a pris rendez-vous avec l’artiste qui n’a pas refusé de se prêter à une séance supplémentaire. Et Julie a manœuvré pour que cela se déroule dans son studio, cette fois.

-Installez-vous, Monsieur… Monsieur Mauve, c’est ça ? avance Julie avec un doute évident dans la voix.

-Oui, c’est bien ça : Gaspard Mauve. Bizarre, hein ? Mais c’est un nom très répandu dans l’Indre, en France. Appelez-moi Gaspard, c’est plus simple.

-Très bien, Monsieur Gaspard. Alors, on y va pour l’affiche !

Elle a déjà monté deux spots sur pied, prête à tester sur la toile de fond un léger flux de couleur. Un instant d’hésitation… Irait-elle jusqu’à recourir à un nuage mauve comme elle aime le faire bien souvent ? Non, ne pas en rajouter ! D’autant que cela risque de ne pas s’accorder avec le rouge de l’accordéon.

-Voilà, Gaspard, tranche-t-elle, on y va. Imaginez que vous êtes André Verchuren !

L’homme à calé l’instrument sur ses genoux, glisse l’une et l’autre main dans les poignées puis, avec fermeté étire et gonfle les soufflets… Encore, et encore ! Des notes s’envolent, les accords se déploient...Très bien, Gaspard… Très bien !

Julie mitraille avec son Canon.

-Levez la tête maintenant !... Et enlevez la casquette, si vous voulez bien… C’est ça, oui ! Regardez-moi!... Mieux que ça, regardez-moi !

L’homme obéit, il a plissé les yeux et fixe cette femme qui le dévisage, le déshabille presque avec son appareil numérique.

Elle, suspend subitement son rythme car… Ma parole, il est beau, ce visage ! Bel homme, pardi !

Vite, elle reprend :

-Très bien, comme ça !... Non, pas tourner la tête ! Là, c’est mieux ! Un sourire maintenant !

Les paupières de l’homme se plissent davantage encore, ses lèvres se détendent, semblent s’offrir.

-Oui, encore…

Cette fois, il  incline la tête légèrement, le regard se fait intense et il finit par la fixer d’un regard franchement amusé.

Elle, a réduit sa focale encore,  vissée à ces lèvres entr’ouvertes, gourmandes qui parlent mieux que les mots.

Quels mots ? Elle aimerait bien savoir mais…

-Voilà. Terminé, Mr. Gaspard. Merci pour votre patience !

 

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Demaison : Un jour n'est pas l'autre

Prologue -          Oh, non, le frigo est pratiquement vide… ! Julie soupire, s’assied à la table de la cuisine, attrape un morceau de papie...