Demaison 3
Orgueil Jaune
Poisson rouge
C’est sans enthousiasme que Julie se dirige
à nouveau vers les bureaux de Simon Vauquaire, cet homme d’affaires qu’elle a
photographié il y a quelques jours à peine. Une séance au cours de laquelle il
avait fallu qu’elle ruse pour lui faire tomber un certain masque
d’autosatisfaction. Non sans être interpellée elle-même d’ailleurs.
Il y a deux
jours, il l’a poliment priée de revenir le voir pour discuter du choix d’un
portrait.
-L’entrevue va
être quelque peu différée, s’excuse la secrétaire, Monsieur a un peu de retard.
Julie se
résout à patienter dans la salle d’attente. Bel endroit, mobilier design, très
classe. Mais, curieux tout de même ce petit meuble, là, sur lequel trône un
poisson rouge. Un poisson solitaire qui tourne en rond dans son bocal. Sans la
moindre petite algue qu’il puisse grignoter ou qui rafraichisse l’eau, car le pauvre en est réduit à venir aspirer
son d’oxygène à la surface! Négligence? Ou,
indifférence pour l’animal ?
Et pourquoi
aussi l’a-t-on fait revenir aujourd’hui ? Elle a fait parvenir en temps
voulu tout un éventail de clichés, il n’y avait qu’à choisir. De quoi veut-il
encore discuter ?
La porte
vient de s’ouvrir, Julie est invitée à entrer.
Vauquaire
s’est levé de son bureau et s’avance, tout sourire, auréolé par le faisceau de
lumière qui traverse la pièce de part en part.
-Madame
Demaison, bonjour !... Merci de vous être déplacée, je suis content de
vous revoir !
Il a manifestement
retrouvé son costume de directeur, cette assurance qui lui fait bomber le torse
mais qu’elle avait réussi à ébranler un moment.
-Entrez,
prenez place… Je voulais vous consulter, voyez-vous, pour le choix de la photo.
Ils s’installent
devant les portraits :
-J’aime
assez celle-ci, entame-t-il… Il y a celle-là, aussi… A moins que… ?
L’attitude, ici, me paraît plus expressive, plus imposante… Qu’en
pensez-vous ?
Julie pense
que ces interrogations - qu’elle trouve d’habitude tout à fait légitimes de la part de ses clients - ressemblent
ici à un véritable numéro d’autosatisfaction.
Une idée lui
traverse l’esprit, elle ouvre son sac à main et en retire une enveloppe.
-Et, que
dites-vous de celles-ci ?
Elle vient
d’étaler sur la table les quelques clichés supplémentaires qu’elle avait pris
de lui lorsqu’elle l’avait poussé dans ses derniers retranchements, alors qu’il
s’était rabattu sur un salutaire verre de cognac !
Surpris, Vauquaire
se penche, survole les photos du regard. Il ne pipe mot mais en saisit une… en
détaille une deuxième, s’attarde enfin à
une image de lui, une expression inhabituelle… Un regard
qui file, qui s’égare…
Il se
redresse, tourne la tête, dévisage son
invitée, se fend d’un sourire amusé.
Le sourire
s’élargit, devient franchement narquois…
-Vous êtes
décidément incorrigible, Madame Demaison !
L’œil pétillant
tout à coup, il plonge la main dans la poche intérieure de son veston :
-Tenez, je
vous invite!
Julie examine
le carton qu’il vient de lui tendre:
INVITATION
Inauguration
des nouveaux bureaux
De la Firme Vauquaire
Hôtel Métropole
Le samedi 6 avril 2023 à 18h
-Et je compte
sur votre présence, n’est-ce pas !
-oOo-
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerDiable que c'est enlevé. Rapide, sans fioritures, efficace !
Je suppose que le jaune, c'est l'expression de Vaucaire découvrant les photos ou de l'étonnement de Julie, piégée...
Confirmation : tu as changé de style de narration. Ici, moins d'introspection et plus d'action, plus de discussion entre tes personnages.
Ce changement est captivant et intrigue quant à la suite.
Vivement le plaisir toujours renouvelé de te lire et de découvrir ce qui va se passer au Métropole...
Bien amicalement,
Jan.
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerCe chapitre est particulièrement bien enlevé. C'est dynamique et des plus plaisant à lire.
Par contre je n'y trouve pas la couleur jaune. À moins que Vauquaire ne rit jaune à se voir ainsi percé à jour. mais alors il arait été bien de développer un peu cette partie.
De même la présence du poisson rouge aurait pu être plus explicitée. Est-ce la secrétaire qui l'a introduit (comme Marlène face au commissaire Swan dans les Petits Meurtres d'Agatha Christie) ou est-ce un désir du patron mais pourquoi ?
En tout cas tu prépares la suite et nous teint en haleine avec cette invitation pressante.
Merci pour le plaisir de lecture.
José
Je pensais que le large rayon de lumière serait explicite…
SupprimerJaune ? Je pensais que la belle lumière serait suffisante…. Apparemment, non!
RépondreSupprimerBonjour Micheline,
RépondreSupprimerQuelle belle description psychologique de ces deux personnages.
J'admire la manière discrète avec laquelle tu évoques l'orgueil.
Une manière peut-être trop discrète pour traiter le jaune mais, c'est une réussite que de donner cet éclairage à cette scène.
Petite remarque : pourquoi l'inauguration des bureaux aurait elle lieu ailleurs que justement dans ces bureaux ?
Ce directeur est très sûr de lui en " offrant " ce cadeau à Julie. Qu'en attend-t-il et va-t-elle accepter cette intrusion dans sa vie ?
J'attends le prochain texte avec impatience.
Amicalement,
Michel.
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerJe le trouve "puant" ce Monsieur Vauquaire, imbu de sa petite personne et déjà convaincu de ce que Julie se précipitera au Métropole. Cela étant, je te verrais bien mijoter un retournement de situation dont tu as le secret. Les personnages évoqués dans tes chapitres précédents t'en laissent tout le loisir. Je ne rejoins que partiellement les commentaires de Jan et Michel. Les consignes sont là pour aider, pas pour alourdir le récit. Le jaune et "Bubulle" pouvaient fort bien n'avoir que la place que tu leur as assignée. Pour le surplus, comme toujours, quel plaisir que de lire ton écriture, fluide, vivante, élégante.
Amicalement.
Andrée
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerCe bocal au poisson rouge pourrait être une représentation de Vauquaire dans sa bulle, dans son bocal, sa firme où il est seul et ne vit qu'à travers le filtre de sa propre importance, d'où il voit le monde à travers un écran, séparé de la réalité des autres.
C'est ce que le regard de Julie bouleverse avec ses dernières photos. Sera-t-il capable de sortir de sa sphère pour une véritable rencontre de personne à personne, d'âme à âme, sans l'ombre d'une manipulation, d'une tentative de contrôle ?
C'est ce que ton écriture m'inspire. Au plaisir de lire la suite !
Bien à toi, Gisèle
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerToujours les demi-teintes que tu réussis si bien. Cette fois tu as vraiment utilisé les consignes et cela donne clairement plus de vie à ton texte. Ceci dit, je suis tout à fait d’accord avec Andrée, point n’était besoin d’en faire plus.
Au début, Julie est à la fois intriguée et un peu vexée d’avoir été convoquée. Tu utilises du bout de la plume le péché d’orgueil. Les deux personnages n’en manquent pas, mais c’est davantage un orgueil qui les tient droit qu’une boursouflure de la personnalité. On sent, sans que tu aies besoin de le dire, que Julie est fière de son travail et Simon est fier de lui-même.
J’aime beaucoup la manière dont tu te sers du poisson rouge pour amener Julie à se poser des questions sur son interlocuteur : encore une manière indirecte de montrer qu’elle s’intéresse à lui.
Le jaune t’a inspiré une pièce baignée de lumière, une lumière qui éclaire Simon dans toute la force de son personnage sûr de lui. Un détail qui fait mouche.
Quant à la dernière partie du texte, elle est aussi toute en finesse. Ces deux-là ont beaucoup de chances de s’attirer, mais je doute qu’ils soient prêts à l’admettre et surtout à le reconnaître facilement.
Une fine nouvelle psychologique se dessine… que j’attends avec impatience.
Le thème de ton prochain chapitre sera la paresse. La couleur dominante du texte le bleu et l’élément-surprise une voiture dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.
Liliane