Julie Demaison -2
-Salut,
P’pa, ça va ce matin ? lance Julie dès qu’elle franchit le seuil d’Espace
Photo.
Le père, au
comptoir, se retourne et lui sourit d’un petit air narquois.
-Oui, je
sais, réplique-t-elle, je suis en retard. Mais j’ai dû me rendre à la Poste
pour y rapporter un colis qui ne m’est pas destiné. Un manteau, figure-toi, que
je n’ai pas commandé. Beaucoup trop grand pour moi, et rouge, en plus ! Tu
vois le genre Il y avait une file pas possible, c’est pour ça que… Bref !
Et toi, ça s’est bien passé hier avec l’accordéoniste ?
-Oui, j’ai
imprimé les photos à dédicacer. Tiens, regarde…
-Ah, oui,
bien ! Et pour son affiche ?
-Celle-ci…
Qu’est-ce que tu en dis ?
-Euh ?…
Ouais…
-Quoi ?
Quelque chose ne va pas ?
-Non, mais…
Tu as son téléphone ?
Ni une ni
deux : Julie a pris rendez-vous avec l’artiste qui n’a pas refusé de se
prêter à une séance supplémentaire. Et Julie a manœuvré pour que cela se déroule
dans son studio, cette fois.
-Installez-vous,
Monsieur… Monsieur Mauve, c’est ça ? avance Julie avec un doute évident
dans la voix.
-Oui, c’est
bien ça : Gaspard Mauve. Bizarre, hein ? Mais c’est un nom très
répandu dans l’Indre, en France. Appelez-moi Gaspard, c’est plus simple.
-Très bien,
Monsieur Gaspard. Alors, on y va pour l’affiche !
Elle a déjà monté
deux spots sur pied, prête à tester sur la toile de fond un léger flux de
couleur. Un instant d’hésitation… Irait-elle jusqu’à recourir à un nuage mauve
comme elle aime le faire bien souvent ? Non, ne pas en rajouter ! D’autant
que cela risque de ne pas s’accorder avec le rouge de l’accordéon.
-Voilà,
Gaspard, tranche-t-elle, on y va. Imaginez que vous êtes André Verchuren !
L’homme à
calé l’instrument sur ses genoux, glisse l’une et l’autre main dans les poignées
puis, avec fermeté étire et gonfle les soufflets… Encore, et encore ! Des
notes s’envolent, les accords se déploient...Très bien, Gaspard… Très bien !
Julie
mitraille avec son Canon.
-Levez la
tête maintenant !... Et enlevez la casquette, si vous voulez bien… C’est ça,
oui ! Regardez-moi!... Mieux que ça, regardez-moi !
L’homme
obéit, il a plissé les yeux et fixe cette femme qui le dévisage, le déshabille
presque avec son appareil numérique.
Elle,
suspend subitement son rythme car… Ma parole, il est beau, ce visage ! Bel
homme, pardi !
Vite, elle
reprend :
-Très bien,
comme ça !... Non, pas tourner la tête ! Là, c’est mieux ! Un
sourire maintenant !
Les paupières
de l’homme se plissent davantage encore, ses lèvres se détendent, semblent s’offrir.
-Oui, encore…
Cette fois,
il incline la tête légèrement, le regard
se fait intense et il finit par la fixer d’un regard franchement amusé.
Elle, a
réduit sa focale encore, vissée à ces
lèvres entr’ouvertes, gourmandes qui parlent mieux que les mots.
Quels mots ?
Elle aimerait bien savoir mais…
-Voilà.
Terminé, Mr. Gaspard. Merci pour votre patience !
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Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerEncore une fois, bonne et heureuse année pleine de santé !
Ton texte est rapide,enlevé, captivant, à peine le temps de prendre sa respiration tellement tout s'enchaine fluidement !
Bonne idée d'avoir repris l'accordéoniste évoqué dans le texte précédent et qui la trouble maintenant.
J'aime le fait que cette photographe sait s'oublier pour découvrir la nature profonde de ces sujets.
Va-t-elle porter elle-même les cliché du premier client, directeur ou je ne sais plus ? Comment celui-ci va-t-il les considérer ?
Le chef d'entreprise, l'accordéoniste, quels mondes différents !
Vivement la suite...
Amicalement,
Jan..
Belle et douce année à toi Micheline.
RépondreSupprimerIl n'y a que du plaisir à te lire et sous la fluidité du texte, se cache un personnage fascinant. Cette talentueuse Julie est séduisante et sans doute séductrice. Comme le souligne Jan, elle côtoie et met à nu sous son "canon" des mondes bien différents. Y en a-t-il un pour lequel elle est faite, ou plutôt fait pour elle ? Je suis impatiente de la voir évoluer.
Amicalement.
Andrée
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerJe te souhaite de tout coeur une année douce et prospère, pleine de santé !
Qu'elle se donne si totalement à son métier, doit l'épuiser moralement...
De rencontre en rencontre, tu nous la découvres par petites touches discrètes.
Son Canon n'a-t-il jamais connu de défaillances ?
Que cette jolie personne est agréable à suivre.
Avec toute mon amitié,
Bien à toi,
Michel.
Bonjour Micheline et meilleurs voeux !
RépondreSupprimerJulie prend des initiatives et ne s'embarrasse pas trop de faire concurrence à son père. Sans doute sait-elle que son père sait reconnaître la qualité du travail de sa fille, son art même. Et l'y encourage.
J'ai bien aimé la progression jusqu'à ce qu'elle découvre, en plus de l'intérêt de son travail, la beauté du visage de l'accordéoniste et que ses lèvres seules, gourmandes, aient des chances de se retrouver sur l'affiche.
Tu réussis par petites touches bien dosées à nous la faire aimer.
Bonne continuation pour alimenter notre plaisir !
Gisèle
Belle année, Micheline !
RépondreSupprimerDécidément elle a un cœur d'artichaut, Julie ! Les hommes qu'elle rencontre ont le don de la troubler ... mais elle garde sa réserve. Va-t-elle finir par céder un de ces jours ?
Et comment le père va-t-il prendre le fait que sa fille marche sur ses plates-bandes ? Son amour propre va-t-il entrer en conflit avec l'affection qu'il porte à Julie ?
Le mauve est la rencontre du rouge (la couleur imposée, je suppose), du bleu et du gris. Ces deux dernières couleurs n'apparaissent pas clairement dans le récit, su ce n'est que Julie me semble un peu fleur bleue et que le gris risque d'être la couleur de son humeur si ses relations avec son père se tendent.
Je suis curieux de lire où ton récit va nous emmener.
José
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerUn texte comme tu les aimes, d’un érotisme discret. On retrouve ton personnage de femme qui fantasme des scènes de séduction. L’écriture est élégante, la lecture plaisante
Je regrette un peu que tu considères assez systématiquement les consignes comme des objets encombrants à éliminer au plus vite. Je suis persuadée que si tu relevais le défi de les employer réellement, cela enrichirait tes textes, leur donnerait une dimension inattendue, t’entraînerait dans une direction que tu n’avais pas prévue, te sortirait de ta zone de confort. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir fait suivre la séance photo d’un repas partagé : ton péché était la gourmandise, thème que tu as effleuré métaphoriquement, mais une gourmandise réelle autour d’un plat savoureux aurait pu ancrer ta scène de séduction de manière plus concrète sans pour autant en faire disparaître l’ambiguïté. De même la couleur mauve aurait pu susciter chez Julie des associations d’ordre psychologique, l’amener à imaginer à son accordéoniste des traits de caractère qui ne sont peut-être pas les siens, ce qui aurait aussi ouvert une piste pour une suite qui confronterait fantasmes et réalité. C’est à cela que servent les consignes, pas à t’encombrer.
Le thème de ton prochain chapitre sera l’orgueil. La couleur dominante du texte le jaune et l’élément-surprise un poisson rouge dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.