Demaison
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Paresse Bleu Voiture
Le jour se
lève…
Julie ouvre
un œil, puis l’autre, tourne la tête vers la fenêtre, là d’où elle a l’habitude
de suivre du regard la vie qui s’éveille, les pigeons qui se chamaillent dans
les arbres, les mésanges à la recherche d’insectes dans la mousse du lilas. Ou
encore, par chance, l’écureuil roux qui sautille sur le fil de la clôture…
Il va faire
beau aujourd’hui, le ciel est bleu, c’est dimanche et elle a tout le temps !
Aussi, elle se retourne, en boule, bien décidée à profiter un moment encore de
la douceur de la couette.
Pas
longtemps pourtant, après petit coup d’œil au réveil matin :
-Ah oui,
tout de même… !
Etre assise
chaque matin devant un bol de café est toujours pour elle un moment précieux,
même s’il est bref et précède souvent un départ en trombe. Elle privilégie
cette parenthèse pour décortiquer son calendrier toujours bien en vue sur la
table de la cuisine. Ca la fait rêver.
Elle vérifie les cases encombrées, gamberge devant celles qui sont encore
vierges… Aujourd’hui par exemple… Ah oui, réception au Métropole ! A
18h … Elle a le temps encore !
Le temps par
exemple d’aller flâner du côté des étangs de Groenendael, les mares sont si
belles, si paisibles… Le temps semble s’y être arrêté. On y voit des oies
bernaches somnoler au soleil sur les berges, les cygnes glissent avec majesté
sur une eau aux reflets azurés. Et que
dire de ces verdures flottantes colonisées par une faune mystérieuse d’insectes
et de batraciens ? Julie s’est déjà souvent demandé pourquoi elle n’est
pas devenue photographe animalière ? Mais non, la patience n’est pas sa
vertu première !
Les heures
ont filé. Coup d’œil à la montre, il faut regagner le petit appart’. Douche
rapide, cheveux habilement domestiqués, un brin de maquillage et… Quoi mettre ? Quelque chose de festif
certainement mais sans grand apprêt. Un petit ensemble bleu fera l’affaire.
Bleu roi.
Lorsqu’elle
franchit le seuil du Métropole et qu’elle atteint la suite réservée à la
réception Vauquaire, la fête bat son plein. L’assistance a applaudi le patron
qui vient de terminer son speech, le champagne circule. Tout en louvoyant entre
les groupes d’invités, Julie parcourt du regard les photos et les brochures
publicitaires mises en évidence sur les buffets et les murs. Elle a saisi une
petite coupe au passage et se fafile vers l’hôte de la soirée, cerné
de tous côtés par ses invités. Etonnement réel ou feint quand il repère Julie
? Vauquaire lève son verre et lui sourit.
La soirée se
poursuit entre échanges entre confrères photographes et retrouvailles avec
d’anciens clients, jusqu’au moment où Julie décide de quitter les lieux en
douce pour aller admirer dehors les anciennes façades de la Place de Brouckère.
Nez en l’air au bord du trottoir, elle sursaute lorsqu’une superbe voiture
blanche s’arrête à ses pieds. Un chauffeur speedé s’en extirpe et se précipite
vers le client qu’il a repéré. Julie s’efface, prête à s’excuser lorsqu’une
voix l’interpelle :
-Julie ?
Julie Demaison ?
-Euh… Oui.
C’est Vauquaire.
-Ah, vous
êtes encore là ? Heureux de vous croiser enfin, j’ai été fort pris
évidemment. Vous attendez votre voiture, vous aussi ?
Elle hésite.
-Pas
vraiment, non. Je prends les transports en commun.
Elle se
demandera plus tard pourquoi elle a lâché ça.
-Les
transports en commun ? Vous êtes sûre ? Non, attendez, je vais vous
ramener !
Elle hésite.
Alors il insiste, lui saisit le bras.
-Non,
laissez-moi vous reconduire !
Pourquoi ce
geste spontané la trouble-t-il à ce point? Pourquoi vient-elle de réfuter cette
invitation ?
-C’est très
aimable à vous mais… non, je vais rentrer par mes propres moyens.
-Certaine ?
Je ne voudrais pas paraître importun...
La pression
sur le bras se précise encore. Tout comme ce regard ce qui interroge, un regard
dont elle n’avait jamais perçu jusque-là qu’il pouvait être aussi intense… Un
de ces regards qui laisse filer une vérité intérieure impossible à retenir.
-Comme vous
voulez, se résigne-t-il. Une prochaine fois, peut-être ?
-Certainement.
Promis !
Cela non
plus, à son tour, elle n’a pu le retenir.
-
-
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerComme tu en as l'habitude, tu utilises un style vif qui semble couler de source. Tu nous entraînes avec toi et nous suivons Julie entre douce paresse, flânerie dans la nature et soirée mondaine.
Julie est une jeune femme qui sait mener sa barque et a opté pour une vie libre mais qui, en même temps, se laisse troubler par un homme mûr et sûr de lui, un homme de décision avec sans doute un esprit de chasseur.
Pas de doute Julie serait un beau trophée pour un homme dans sa position.
Va-t-elle céder ? Réussira-t-elle à inverser la situation et à le dominer ?
Comment son père va-t-il percevoir l'éventuelle relation entre sa fille et un tel homme ?
Ce sera un plaisir de lire la suite.
José
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerParesse ou nonchalance ? Peu importe, c'est tellement bien écrit que
l'on a l'impression de se promener avec elle.
Que devient l'accordéoniste qui l'avait également troublée ?
Quel grand écart...
Au plaisir de te lire.
Bien à toi,
Michel.
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerNe me dis pas que Julie va craquer pour ce Vauquaire si imbus de sa petite personne ! A moins que tu ne nous dévoiles ses fêlures dans un prochain chapitre. J'ai aimé flâner avec Julie au bord des étangs et laisser flotter mon imagination sur ses pensées à elle. Comme toujours, en quelques touches habiles, tu nous brosses un portrait de plus en plus précis de la jeune femme. Vivement la suite.
Amicalement.
Andrée
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerQuel joli don d'observation ! C'est qu"on si croirait, dans son intimité, avec elle le long des marais ou regardant par la fenêtre.
Tous ces petits riens insignifiants en soi mais qui montrent un personnage capable de détachement mais aussi de faiblesse, ou plutôt de manque d'assurance dans certaines circonstances...
Que tout cela est superbement vrai et captivant !
Et si Vauquaire n'était pas aussi arrogant qu'il paraît ?
Pourquoi pas un marivaudage à la manière de Sade, entre un prédateur et une victime, chacun échangeant leur rôle de temps à autre ?
Vivement tes surprises toujours fines et délicates.
Bien amicalement,
Jan.
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerPour une personne aussi active, speedée que Julie, se prélasser quelques minutes peut passer pour de la paresse. Il y a plus de paresse dans une seule oie bernache qui somnole que dans ton personnage. Ce n'est pas son truc et ma phrase précédente se veut humoristique. Si on était dimanche, je dirais que j'ai passé un bon dimanche à la suivre et merci, Micheline, pour ce joli bout de chemin. Est-ce par une méfiance instinctive qu'elle refuse de se faire raccompagner par Vauquaire ? En tout cas ce n'est pas le résultat d'une réflexion, pas plus que sa promesse de remettre ça à un autre jour. Va-t-on assister à du "Je t'aime, moi non plus" ?
Au plaisir de lire la suite ! Gisèle
Bonjour Micheline,
RépondreSupprimerCe texte en quatre parties de tons très différents est un vrai plaisir de lecteur.
La douceur paresseuse des descriptions de la première partie nous montre une Julie qui sait lâcher prise et savourer des moments agréables.
Soudain le ton change, le rythme d’écriture se fait nerveux : il faut hâter le mouvement. Les phrases sont courtes et accompagnent les gestes rapides.
Vient la réception et cette ambiance que tu évoques souvent, toujours avec la même précision élégante.
Jusque là, le texte ne fait pas progresser le récit, mais tu nous réserves la surprise finale. Coup de chapeau pour ton choix des réactions de Julie, en parfait accord avec le côté orgueilleux évoqué dans le texte précédent, un orgueil qui la pousse à refuser quelque chose qu’elle souhaite en fait ardemment. Comme c’est bien vu !
Un petit détail de cohérence :
« Pourquoi vient-elle de réfuter cette invitation ? »
Elle ne l’a pas encore refusée. Tu pourrais déplacer cette réflexion après la réplique suivante. Tu pourrais aussi, et je trouve que ce serait plus habile, écrire :
« Pourquoi s’entend-elle refuser cette invitation ? »
Tu marquerais ainsi la dimension involontaire de ce refus qu’elle regrette au moment où elle le prononce.
J’attends la suite avec impatience en espérant que ta Julie acceptera enfin d’être heureuse… mais ça c’est toi qui décides ! A moins que tu n’adoptes la suggestion de Jan en nous entraînant dans une relation sado-masochiste ?
Le thème de ton prochain chapitre sera l’avarice. La couleur dominante du texte le blanc et l’élément-surprise un restaurant dont tu trouveras l’image au bas de ton texte annoté.
Bon travail.
Liliane